Je vous propose, dans cet article, une situation de langage très riche pour les élèves de Grande Section de maternelle. Il s’agit d’apprendre à comparer.
Comparer deux histoires, comparer deux recettes, comparer deux jeux de société…
- Un exemple à partir de deux histoires: « Le loup et les 7 chevreaux » et « La clé »
- Bien comprendre l’activité mentale « Comparer »
- Des critères pour comprendre le raisonnement des élèves
- Analyse de paroles d’élèves GS
- D’autres situations de comparaison
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Un exemple à partir de deux histoires
Voici une proposition de séquence en 4 étapes :
Avec des élèves de Grande Section, j’ai choisi de travailler à partir du conte « Le loup et les 7 chevreaux », d’après Grimm, et d’une version parodique « La clé », de Flas et Masson.
Pour qu’une comparaison puisse être réalisée, il est nécessaire que les élèves connaissent bien chaque histoire.
Le loup et les 7 chevreaux : Une maman chèvre met en garde ses sept petits contre le loup, puis elle part chercher de quoi manger dans la forêt. Le loup en profite pour pénétrer par ruse dans la maison. D’abord, il se trahit à cause de sa grosse voix, puis par sa patte noire, et finalement, il montre une patte blanche toute farinée. Les chevreaux, croyant reconnaître la patte de leur mère, ouvrent la porte et se font dévorer, sauf un. Le rescapé explique tout à sa mère dès son retour. Ils partent ensemble à la recherche du loup et libèrent les 6 chevreaux.
La clé : La maman part faire quelques courses et demande à ses trois enfants de n’ouvrir à personne. Mais à son retour elle se rend compte qu’elle a oublié de prendre ses clés. Il faut alors convaincre les enfants de la laisser rentrer chez elle. Les enfants lui répondent, tour à tour, qu’elle n’est pas leur mère: leur maman n’oublie jamais rien, leur maman a une main douce (or la main passée par la boîte aux lettres est rouge et gercée), leur maman a une voix douce (or elle s’énerve et crie derrière la porte). « Allez, les gars, je vais devenir chèvre, moi ici ! » Finie la plaisanterie, le désespoir de leur mère les décide à ouvrir.
Dans un premier temps, j’ai choisi de lire aux élèves « La clé ». Plusieurs lectures du texte, accompagnées d’une lecture d’images, sont nécessaires pour leur faire comprendre l’histoire. Dans cet album, les trois enfants font semblant de ne pas reconnaître leur maman, ils lui jouent un tour en refusant de lui ouvrir. C’est l’intention des enfants qui pose une réelle difficulté de compréhension pour les élèves. Dans une moindre mesure, la boîte aux lettres dans la porte, par laquelle la maman glisse sa main, pose aussi problème au départ car les élèves ne connaissent pas ce système.
Pour aider à la compréhension, j’ai proposé aux élèves de jouer l’histoire. La petite mise en scène a aidé à l’explicitation des intentions et des émotions des personnages. Les élèves se sont facilement prêtés au jeu et l’ont refait d’eux-mêmes plusieurs fois sur le temps d’accueil.
Il est vrai que les trois enfants hilares, d’un côté de la porte, et la maman en colère, de l’autre côté, se prêtent bien à la théâtralisation.
Dans un deuxième temps, vient la phase de lecture du conte « Le loup et les 7 chevreaux ». On peut d’abord envisager une lecture sans illustrations, puis une lecture avec le kamishibaï et enfin une mise en scène. Le travail d’explicitation est tout aussi important pour assurer la compréhension de tous les élèves.
Dans un troisième temps, on amène les élèves à comparer les deux histoires. Cette étape peut se faire d’abord en petit groupe puis en grand groupe. Plusieurs séances sont nécessaires pour faire émerger une comparaison sur ce qui caractérise les deux histoires (montrer la main/la patte…). Ce travail nécessite un réel accompagnement de la part de l’enseignant.
Enfin, le temps de bilan consiste à prendre en note la comparaison faite par chaque élève. C’est un temps individuel accordé à chacun et qui permet de savoir sur quelle base il raisonne pour comparer.
Bien comprendre l’activité mentale « Comparer »
Comparer consiste à préciser en quoi les composantes de deux objets (ou plusieurs) sont différentes ou ressemblantes et par rapport à quel critère. C’est une activité mentale constitutive de l’abstraction.
En effet, selon Piaget, abstraire signifie extraire une propriété commune à des objets distincts, distinguer ce qui est permanent de ce qui varie.
Britt Mary Barth, quant à elle, considère la comparaison comme une étape essentielle du processus d’abstraction.
Pour approfondir ce sujet, je vous invite à lire deux précédents articles : Vers l’apprentissage de l’abstraction et Du concret vers l’abstrait : les compétences en jeu dès la maternelle.
La comparaison est donc une activité de raisonnement à développer chez nos jeunes élèves, pour leur permettre, ensuite, de construire des apprentissages abstraits.
On peut identifier deux phases dans l’action de comparer :
- L’analyse : décomposer et considérer toutes les propriétés d’un concept.
(ici : bien comprendre les éléments constitutifs d’une histoire) - L’inférence : sélectionner seulement une ou quelques propriétés pertinentes.
On peut le dire autrement : comparer, c’est savoir préciser en quoi les composantes de deux objets (ou autre support de comparaison) sont différentes ou ressemblantes et par rapport à quel critère. La comparaison est pertinente si elle se fait à partir d’un même critère.
La comparaison peut donc se faire :
- par analogie : ce qui est pareil,
- par opposition : ce qui est différent.
Des critères pour comprendre le raisonnement des élèves
Britt Mary Barth propose 5 niveaux pour comparer deux concepts.
Je tente d’illustrer chaque niveau par un exemple.
0 | Nommer des attributs ou des exemples d’un seul concept. parler d’une seule recette |
1 | Nommer, sans structure, des exemples des deux concepts, parler des deux recettes sans faire de lien entre elles ou comparer des choses incomparables dans une même phrase. comparer une action d’une recette avec un ingrédient de l’autre |
2 | Comparer les concepts par rapport à une catégorie sans donner d’exemples. comparer les recettes par rapport aux ingrédients, sans dire de quoi il s’agit (ce sont les mêmes ingrédients) |
3 | Comparer les deux concepts par rapport à une catégorie et en donner des exemples. comparer les recettes par rapport aux ingrédients, en précisant de quoi il s’agit (ce sont les mêmes ingrédients parce que dans les deux recettes, il y a des œufs…) |
4 | Niveau 3 + indiquer s’il s’agit d’une différence ou d’une ressemblance. (connecteurs : comme, alors que, mais…) |
Retrouvez une autre grille d’analyse de langage pour une comparaison, sous format PDF.
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A partir de ces éléments, j’ai tenté d’analyser quelques productions d’élèves.
Analyse de paroles d’élèves GS
« Le loup et les 7 chevreaux » et « La clé »
Texte 1: « Y a pas la même horloge. Sur la clé, la maman elle a la main toute rouge et dans les sept chevreaux, y a pas la main toute rouge. Dans les sept chevreaux, la maman è dit : « ouvrez à personne » et dans la clé, la maman è dit : « ouvrez à personne. »
Cette élève compare un élément à la fois, un par phrase : l’horloge, la main, les paroles.
Elle fait deux analogies (l’horloge et «ouvrez à personne») et une opposition (la main).
Elle commence à généraliser (« la même ») mais ce n’est pas le cas dans la dernière phrase.
Elle juxtapose les éléments.
Texte 2: « Que le loup il utilise sa grosse voix. Il dit : « laissez-moi entrer, c’est votre maman chérie qui rapporte des choses pour entre vous. » Il dit : « tu n’es pas notre maman, nous t’ouvrirons pas. » i dit : « montre-moi ta patte. » Et là i dit : « non tu n’es pas notre maman, tu as une patte toute noire ».
Parce que dans l’histoire de la clé, ils savent que les enfants de la clé i sait que c’est leur maman, i fait une blague.
C’est pas pareil parce que dans le livre de la clé et le livre les 7 chevreaux parce que le loup il dit : « montre-moi ta patte pour voir si t’es notre maman. » Et puis les enfants i disent : « nous t’ouvrons pas. » Et dans les 7 chevreaux, « tu n’es pas notre maman » et puis i dit les 7 chevreaux : « je vais changer de voix, je vais manger de la craie. » Et après i revient i s’est déguisé et puis i dit : « bonjour mes enfants ! C’est votre maman chérie quelque chose de chacun de vous. » C’est pas pareil. »
Cette élève commence par raconter un moment de l’histoire, sans qu’il y ait de comparaison.
Puis, dans le second paragraphe, on peut supposer qu’elle fait une comparaison par opposition entre les deux histoires mais elle ne mentionne pas explicitement la comparaison. Cependant, elle met en avant la plus complexe des différences entre les deux histoires.
Enfin, dans le troisième paragraphe, elle commence une comparaison par opposition « c’est pas pareil » en cherchant à la justifiant « parce que ». Pourtant, sa justification n’est pas une comparaison. Elle reste « collée » au récit du loup et des 7 chevreaux et ne fait pas apparaître de différence.
Texte 3: « Dans l’histoire de la clé, il n’y a pas de loup et dans l’histoire des 7 chevreaux, il y a un loup. Dans l’histoire de la clé, la porte a une boîte aux lettres qui est dans la porte. Dans l’histoire des 7 chevreaux, la porte a des carreaux et dans les 7 chevreaux, il n’y a pas de boîte aux lettres.
Et dans les deux histoires, la maman va faire les courses. Et dans les deux histoires, il y a une maman et des enfants, il n’y a pas de papa.
Dans les 7 chevreaux, les 7 chevreaux savent que c’est le loup qui est derrière la porte à cause des pattes noires et de sa grosse voix. Et dans la clé, ils savent que c’est la maman mais ils n’ouvrent pas parce qu’ils veulent leur faire une blague. Et en fait, la blague ils veulent la faire parce qu’ils ont lu les 7 chevreaux. Et comme eux, ils savent, les enfants, ils font comme si la maman c’était le loup. Et à la fin ils ouvrent la porte dans les deux histoires. »
Cette élève commence par deux comparaisons par opposition. Elle compare à chaque fois le même critère, en juxtaposant les énoncés.
Puis, dans le second paragraphe, elle fait des analogies en généralisant : «dans les deux histoires ».
Dans le troisième paragraphe, elle montre qu’elle a construit la notion de point de vue : « savent que », « comme eux, ils savent », « comme si ».
Elle a compris la différence d’intention entre les deux histoires (d’un côté, les chevreaux qui se font avoir par la ruse du loup et de l’autre, les enfants font une farce à leur mère). Elle développe cette différence en faisant des liens logiques : « à cause de », « mais », « parce que ».
En disant « comme eux, ils savent », elle montre la différence entre les enfants qui savent que c’est leur mère et les chevreaux qui pensent que c’est leur mère alors que c’est le loup.
Sa réflexion suit la chronologie de l’histoire : « à la fin ».
Texte 4: « En premier, je vais dire que ce sera les pareils. Dans les deux histoires, la maman dit : « n’ouvrez à personne. » Au début dans les deux histoires, les enfants disent : « tu n’es pas notre maman. » Dans les deux histoires, c’est la même horloge.
Maintenant c’est les choses qui sont pas pareilles. Dans l’histoire de la clé, les enfants font une plaisanterie et dans l’histoire des 7 chevreaux, les chevreaux i z’ont peur. »
Cet élève annonce explicitement comment il va raisonner : « en premier, je vais dire que ce sera les pareils », « maintenant c’est les choses qui sont pas pareilles ». Cela témoigne d’une mise à distance par rapport aux deux récits.
Il commence par faire des analogies à partir d’un critère.
Il généralise : « dans les deux histoires », « la même ».
Il situe dans la chronologie: « Au début ».
Dans le second paragraphe, il explique une seule différence : la plus complexe. On peut supposer qu’il a compris, même s’il ne développe pas le pourquoi.
D’autres situations de comparaison
Des idées d’histoires à comparer
Roule Galette et Le petit bonhomme de pain d’épices
Entre deux histoires, on peut comparer :
- Les personnages (nature, nombre, ordre d’apparition)
- Les objets
- Les actions des personnages, les événements
- Les lieux
- Les émotions
- Les points de vue
- Les intentions des personnages
Comparer deux recettes de cuisine
Une tarte aux pommes et un gâteau aux pommes
Une galette des rois et une tarte aux pommes
Retrouvez une analyse de langage de cette comparaison sur le blog Soizikel
Comparaison possible entre :
- Les ustensiles
- Les étapes, les actions
- Les ingrédients (nature et quantité)
- La cuisson (mode de cuisson et temps de cuisson)
Comparer deux jeux de société
Comparaison possible entre :
- Le matériel
- Les actions, les règles
- Le but du jeu
Comparer deux règles du jeu est une consigne complexe.
Il est intéressant de commencer par demander aux élèves d’expliquer un seul jeu. Plus tard, ils pourront comparer deux jeux.
– L’élève se focalise sur les éléments du jeu ou sur l’histoire qu’il y a autour du jeu.
– L’élève énonce les actions de façon juxtaposée, sans les relier.
– Il décrit la chronologie des actions.
– Il explique les conséquences, il justifie, fait des liens logiques.
– Il compare les jeux en cherchant ce qui est différent, ce qui est pareil, ou les deux.
– Il compare les buts du jeu, par analogie ou différence. (le plus complexe)
Si vous avez des suggestions de supports à comparer ou des paroles d’élèves, je suis preneuse ! Cela m’aidera à compléter cet article.
Vous pouvez également partager, dans les commentaires, vos remarques et votre expérience à ce sujet.
Merci beaucoup pour cet article, je commence justement la comparaison entre roule galette qu’ils connaissent parfaitement et adorent et le petit bonhomme de pain d’épice qui est pour eux une découverte.
Ils ont besoin d’être énormément guidés ( ce sont des MS en rep+) et pour eux comprendre le pareil/pas pareil a déjà été un gros travail en amont! Mais je continuerai à la rentrée.
C’est intéressant de savoir que tu proposes cela à des élèves de MS.
C’est assez complexe, je n’ai jamais essayé avec ce niveau.
Mais, finalement, je me dis que le niveau de difficulté dépend surtout des supports choisis.
Si tu notes certaines comparaisons faites par tes élèves, je serais curieuse de les lire !
Merci pour ton partage.