A la demande de l’Unesco, Edgar Morin, chercheur et philosophe, propose dans son livre sept savoirs pour faire face aux problèmes fondamentaux du monde d’aujourd’hui et de demain.
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Pour écrire cet article, j’ai lu la réédition de 2015. Vous pouvez lire en ligne la première édition de 1999. Ecrit il y a plus de 10 ans, ce livre est toujours d’une incroyable actualité. Le soutien de l’Unesco et la relecture par de nombreuses personnalités internationales donnent, à mes yeux, beaucoup de crédit et d’importance aux propos d’Edgar Morin.
1. Faire connaître ce qu’est connaître
2. Affronter la complexité
3. Reconnaître l’unité et la diversité humaines
4. Comprendre le destin planétaire du genre humain
5. Affronter les incertitudes
6. Enseigner la compréhension
7. Réaliser une citoyenneté terrienne
1. Faire connaître ce qu’est connaître
L’éducation doit viser, plus que la connaissance, l’examen de la connaissance. Elle doit préparer à affronter les risques permanents d’erreur, d’illusion et d’aveuglement.
Les sources d’erreur sont multiples:
- La connaissance n’est pas le réel. C’est une traduction et une reconstruction du réel à partir de nos perceptions et à partir du langage et de la pensée. Il y a alors risque d’erreur de perception et risque d’erreur d’interprétation.
- La subjectivité, la projection des désirs et des craintes, et les émotions multiplient les risques d’erreur.
- Une théorie scientifique, sans examen philosophique et éthique, peut mener à bien des catastrophes.
- Le conformisme cognitif et culturel emprisonne la connaissance dans des idées reçues, des croyances et des normes non contestées.
« C’est un devoir capital de l’éducation que d’armer chacun dans un combat vital pour la lucidité. » Edgar Morin
Ce que cela m’inspire concrètement :
- Cela confirme ma conviction qu’il est nécessaire, à l’école, de mettre l’accent davantage sur le processus que sur le résultat. (ex. La démarche des Savanturiers)
- Enseigner l’évolution des théories et des croyances au fil de l’Histoire (ex. Terre plate / Terre Ronde)
- Débat philo: discuter du vrai/faux, de la « science sans conscience », des choix permis par les progrès scientifiques et technologiques, etc.
2. Affronter la complexité
Les différents éléments d’un tout sont inséparables et entretiennent des relations d’interdépendance. Affronter la complexité, c’est prendre en compte et chercher à comprendre les liens entre les informations. Il s’agit de les situer dans leur contexte pour qu’elles prennent sens.
Le problème de la spécialisation:
Au cours du 20è siècle, la spécialisation des disciplines a permis d’énormes progrès de la connaissance. Et en même temps, il y a eu une régression de la connaissance du fait de cette spécialisation qui ne prend pas en compte les contextes et les complexités.
Les systèmes d’enseignement séparent les disciplines les unes des autres. Les connaissances sont cloisonnées au lieu d’être envisagées dans un système.
« Dans ces conditions, l’esprit formé par les disciplines perd son aptitude naturelle à conceptualiser les savoirs, ainsi qu’à les intégrer dans leurs ensembles naturels. L’affaiblissement de la perception du global conduit à l’affaiblissement de la responsabilité (chacun tend à n’être responsable que de sa tâche spécialisée), ainsi qu’à l’affaiblissement de la solidarité (chacun ne ressent plus son lien avec ses concitoyens). »
Le problème de la réduction:
Jusqu’au milieu du 20è siècle, on a voulu réduire la connaissance du tout à la connaissance des parties. Or l’organisation d’un tout produit des propriétés nouvelles par rapport aux parties considérées isolément.
Ce que cela m’inspire concrètement :
- Dès la maternelle, accompagner dans le développement d’une pensée complexe: mettre en avant de nombreux et divers liens pour aider l’enfant à situer dans le temps, dans l’espace, à comprendre les relations de cause à effet. L’enfant utilisera alors de plus en plus de connecteurs (cf. L’analyse du langage).
- Offrir la possibilité aux enfants et adolescents de transformer leurs questionnements en projets interdisciplinaires. (ex. Le Centre de Recherches Interdisciplinaires pour les étudiants, créé par François Taddéi)
3. Reconnaître l’unité et la diversité humaines
« (Les humains) doivent se reconnaître dans leur humanité commune, en même temps que reconnaître leur diversité tant individuelle que culturelle. »
Développer le sentiment d’appartenance à l’espèce humaine
- Se situer dans l’univers : Qui sommes-nous ? Où sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?
- Se situer sur la Terre (les écosystèmes et leur évolution)
- Situer l’humain par rapport à l’animal. Nous sommes à la fois animal et humain: nous conservons des caractéristiques animales, tout en nous développant dans des dimensions psychologiques, sociales et culturelles, propres à l’humain.
Comprendre que l’autre est à la fois semblable et différent de moi
Pour cela, il s’agit d’illustrer le principe d’unité/diversité dans tous les domaines. Les humains ont des caractères communs et en même temps leurs propres singularités :
– semblables par le langage, différents par les langues
– semblables par la culture (qui comporte normes, règles, savoirs, savoir-faire, croyances, interdits…), et différents par les spécificités culturelles
Ce que cela m’inspire concrètement :
- Pour Maria Montessori, l’enfant, à partir de 6 ans, aspire à découvrir et comprendre le monde. Il a besoin de s’y situer, il veut y trouver sa place. C’est pourquoi, en pédagogie Montessori 6-9 ans, 5 grands récits sont racontés aux enfants: Création de la planète, Apparition de la vie sur Terre, Apparition des hommes, Développement des humains et des civilisations (récit de l’écriture, histoire de la communication), Histoire des nombres. L’objectif est de donner une vision générale à l’enfant, lui apportant des éléments de réponse, tout en suscitant des questionnements qu’il pourra approfondir ensuite.
- Dès la maternelle, les livres du monde offrent des supports de comparaisons de situations bien connues des enfants : manger, habiter, relations parents-enfants… La diversité des pratiques culturelles et des modes de vie permet à l’enfant d’apprendre à se décentrer de son propre monde, à s’ouvrir à d’autres possibles.
- La correspondance scolaire m’apparaît comme un outil pouvant favoriser cette découverte de l’unité et de la diversité humaines.
4. Comprendre le destin planétaire du genre humain
Reconnaître notre identité terrienne
« Nous dépendons vitalement de la biosphère terrestre; nous devons reconnaître notre très physique et très biologique identité terrienne. »
Cette prise de conscience doit nous conduire à modifier notre comportement: chercher non pas à maîtriser et dominer l’environnement, mais plutôt à vivre en symbiose avec lui.
Prendre conscience de notre interdépendance
Au début de l’histoire humaine, les humains sont dispersés sur tous les continents. Cela permit une diversité de langues, de cultures et de créations dans tous les domaines. A partir des Temps Modernes, la communication entre les fragments de la diaspora humaine devient possible. Aujourd’hui, les technologies de la communication nous rendent interconnectés.
« L’économie mondiale est de plus en plus un tout interdépendant: chacune de ses parties est devenue dépendante du tout et, réciproquement, le tout subit les perturbations et aléas qui affectent les parties. La planète s’est rétrécie. »
Nous devons prendre conscience de cette interdépendance pour développer responsabilité et solidarité les uns envers les autres, pour penser ensemble un développement pas uniquement basé sur l’économie et la technologie.
Ce que cela m’inspire concrètement: Je pense que se sentir « terrien » passe nécessairement par l’éducation dans et par la nature. En observant la nature, l’enfant apprend ce qu’est la vie et découvre les liens qui unissent les êtres vivants. L’éducation dans la nature doit permettre aux enfants de comprendre et de respecter les richesses que la nature nous offre, de reconnaître et d’accepter que nous avons besoin d’elle pour vivre.
5. Affronter les incertitudes
« Il faut apprendre à naviguer dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitude. »
L’éducation doit reconnaître les incertitudes :
- liées à la connaissance: la connaissance porte en elle-même les risques d’erreur puisqu’elle découle d’un processus de traduction/reconstruction du réel. (cf. Partie 1)
- liées à l’histoire: l’histoire humaine est une aventure inconnue.
- liées au progrès: aujourd’hui, les découvertes scientifiques et technologiques ne sont plus nécessairement considérées comme synonymes de progrès.
- liées à l’action: Edgar Morin définit l’écologie de l’action comme suit: « Dès qu’un individu entreprend une action, quelle qu’elle soit, celle-ci commence à échapper à ses intentions. Cette action entre dans un univers d’interactions et c’est finalement l’environnement qui s’en saisit dans un sens qui peut devenir contraire à l’intention initiale. »
Ce que cela m’inspire concrètement :
- A mes débuts d’enseignante, je cherchais une méthode qui marche, LA méthode. C’est tellement plus rassurant et confortable de suivre une méthode. Je ne l’ai pas trouvée, ou plutôt j’ai cessé de la chercher. Aujourd’hui, j’ai enfin compris ce que me répétait sans cesse Françoise Diuzet: « accepte de vivre avec tes doutes, c’est ce qui te fait progresser ». Je crois à la posture d’« éducateur-chercheur », une expression d’Antonella Verdiani.
- En apprenant à accueillir l’imprévu, l’enseignant s’ouvre aux questionnements des enfants, laisse entrer les événements de la vie dans sa classe. Il ne les perçoit plus comme des perturbations négatives d’un ordre qu’il a préétabli mais comme une source d’apprentissages.
6. Enseigner la compréhension
Aujourd’hui, la situation est paradoxale: la communication nous rend tous connectés, la mondialisation nous rend interdépendants et, pourtant, à la place de la solidarité, c’est l’incompréhension qui l’emporte.
« (…) enseigner la compréhension entre les humains est la condition et le garant de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité. »
Les deux compréhensions
- La compréhension intellectuelle ou objective: comprendre, c’est saisir ensemble (le texte et son contexte, les parties et le tout). Cela passe par l’information et surtout par l’explication.
- La compréhension humaine ou intersubjective: c’est la connaissance de sujet à sujet. « Comprendre inclut nécessairement un processus d’empathie, d’identification et de projection. »
Les obstacles à la compréhension:
- les problèmes liés à la transmission de l’information
- la polysémie d’une notion
- l’ignorance des rites et coutumes d’autrui
- l’incompréhension des valeurs d’une autre culture
- l’incompréhension d’une vision du monde différente de la sienne
- l’incompréhension de soi-même empêche la compréhension d’autrui
- -> « (…) se situer au centre du monde et considérer comme secondaire, insignifiant ou hostile tout ce qui est étranger ou éloigné. »
La littérature, tout comme le cinéma, nous donnent à voir et à comprendre toute la complexité humaine (le fait, par exemple, qu’on ne peut réduire une personne à une petite partie d’elle-même ou à une partie négative de son passé).
Ce que cela m’inspire:
- Ce qui me frappe à la lecture des projets pédagogiques des écoles alternatives, c’est l’importance à chaque fois accordée au savoir-être. « L’intelligence émotionnelle n’est pas innée », dit Isabelle Filliozat. C’est en aidant les enfants, dès le plus jeune âge, à développer la leur que nous pourrons accéder à des relations humaines plus harmonieuses.
- Il me semble capital d’accompagner les jeunes enfants vers la compréhension de la notion de point de vue. C’est un des nombreux éléments que j’ai appris en travaillant aux côté de Françoise Diuzet. Elle propose dans cet article de nombreux livres pour construire cette notion en Grande Section.
7. Réaliser une citoyenneté terrienne
« L’éthique doit se former dans les esprits à partir de la conscience que l’humain est à la fois individu, partie d’une société, partie d’une espèce. Nous portons en chacun de nous cette triple réalité. Aussi, tout développement vraiment humain doit-il comporter le développement conjoint des autonomies individuelles, des participations communautaires et de la conscience d’appartenir à l’espèce humaine. »
La responsabilité et la solidarité doivent être élargies à l’échelle de la planète tout en s’appliquant concrètement dans chaque communauté.
Pour Edgar Morin, il est nécessaire d’enseigner la démocratie.
Celle-ci permet que s’exercent les libertés individuelles et en même temps, la responsabilité et la solidarité au sein de la société. Certains oeuvrent pour une « démocratie ouverte » qui donnent davantage le pouvoir d’agir aux citoyens.
Ce que cela m’inspire concrètement :
- La responsabilisation vient de l’implication des jeunes dans l’organisation de la classe: le choix des règles et la gestion de la coopérative par exemple.
- Les règles ont du sens quand elles naissent de la vie en groupe. Elles sont à créer par le groupe et à accepter car c’est d’elles que dépendent ce que l’on peut faire. Elles évoluent en fonction de ce qui se vit dans la classe et dans l’école.
- Voici un texte de l’Office Central de la Coopération à l’Ecole : « Qui fait quoi pour la coopé ? »
- Je suis convaincue que la démocratie s’apprend en la vivant dès l’enfance.
De plus en plus d’écoles démocratiques voient le jour en France. Elles se donnent la mission suivante: « promouvoir une approche permettant aux enfants de faire leurs propres choix concernant leurs apprentissages et tous les autres domaines de la vie (…) Ils devraient aussi jouir d’une part égale du pouvoir de décision sur le fonctionnement de leur organisation (…). » - Il s’agit de responsabiliser les enfants plutôt que de leur apprendre à obéir.
Je suis tout à fait d’accord avec cet article de mon côté je fais des animations dans ce sens en faisant découvrir les enfants des autres pays dans des écoles conventionnelles .
En ce moment à Barjac tout l’école fait des échanges avec des enfants du Chili et cela me ravie
Je souscris aux propositions d’Edgar Morin, l’inclassable du CNRS, et dont les principes éducatifs ont une résonnace concrète et particulière à la fois en ces temps de pandémie mondiale: ce que le virus COROD-19 a fait, çàd nous renvoyer à notre condition d’espèce humaine vivante parasitable, nous êtres humains en devenir, avons à réaliser dans la communauté de citoyenneté terrestre…
Merci de relayer cette pensée profonde et vitale d’Edgar Morin concernant l’éducation. Nous la développons dans l’école du Phare à Paris (la Classe du Phare) depuis près de 5 ans avec des effets formidables.
Il est certain qu’à la vitesse où évoluent les évènements et la santé des jeunes, des écoles doivent réfléchir en profondeur à leur projet pédagogique avec : quelle vision de l’être humain ? quelle vision du sens d’éduquer ? quels fondements pédagogiques ?