Dans son livre Les lois naturelles de l’enfant, Céline Alvarez met les apports des sciences cognitives au service de l’éducation. Comprendre le fonctionnement du cerveau nous permet de faire des choix éducatifs et pédagogiques adaptés, en cohérence avec les connaissances actuelles. C’est un des axes fascinants, développé de façon limpide par l’auteure, que je partage avec vous dans cet article.
Un peu de contexte
Céline Alvarez a réalisé une expérience dans une classe maternelle multi-âge, à Gennevilliers, en Zone d’Éducation Prioritaire et Plan Violence, de 2011 à 2013. Elle s’est inspiré de l’approche de Maria Montessori en l’enrichissant des avancées scientifiques actuelles. Les résultats ont été spectaculaires: à la fin de la deuxième année, tous les enfants de grande section et 90% de moyenne section étaient lecteurs et avaient d’excellentes compétences en arithmétique. Ils avaient également développé des compétences d’entraide et d’empathie. Céline Alvarez a aujourd’hui démissionné et partage son expérience pour aider les enseignants à transformer le système.
Les neurosciences, basées sur les études comportementales en psychologie et l’imagerie cérébrale, sont des disciplines récentes. Comme toute connaissance, les connaissances qu’elles apportent sont amenées à évoluer au fil des découvertes.
L’extraordinaire plasticité du cerveau de l’enfant
Chaque information, événement ou action a un impact sur l’organisation de notre cerveau, quel que soit notre âge. Sa structure change en fonction de nos expériences tout au long de la vie et surtout pendant l’enfance.
Comment expliquer l’immaturité cérébrale chez le petit d’humain ?
Contrairement aux animaux, le bébé humain ne naît pas « terminé ». Il va mettre des années à conquérir son autonomie, accompagné par d’autres humains. Ça, je le savais déjà. Grâce à la lecture du livre de Céline Alvarez, je sais maintenant pourquoi !
« Si son petit (d’homme) voyait le jour avec une intelligence mature, comme c’est le cas pour les autres mammifères, il naîtrait terminé, avec une intelligence finalisée disposant de peu de plasticité, et il serait bien incapable d’absorber les bonds évolutifs des générations précédentes. (…) Or, en projetant le petit de cet inventeur-né qu’est l’Homme de façon prématurée dans le monde, la nature l’oblige à prendre en marche le train de l’Humanité et lui offre la possibilité, dans les premières années de sa vie, d’incarner sans effort, dans ses fibres neuronales encore immatures, la culture de ses parents. » p.37
L’enfant naît prédisposé à apprendre la culture de son environnement social (langages, valeurs, savoirs…). Les éducateurs transmettent cette culture dans l’intention d’émanciper l’enfant.
Phase 1: la création de milliers de connexions neuronales
« Tout comme le maçon commence par construire les fondations pour bâtir une maison, le cerveau humain commence par créer des milliers de connexions pour se structurer. » Céline Alvarez p.43
Pendant les 5 premières années de sa vie, le cerveau de l’enfant crée 700 à 1000 connexions chaque seconde. Il enregistre un nombre incroyable d’informations grâce à ces connexions. Cela correspond à la phase d’exploration par l’enfant de son environnement.
Grâce à toutes ces informations codées, l’enfant devient capable de prédire la probabilité qu’un événement se produise ou non. S’il y a décalage entre sa prédiction et la réalité, sa curiosité va le pousser à comprendre ce décalage et à actualiser ses connaissances.
La curiosité est donc un élan naturel qui se traduit dans le cerveau par une sécrétion de dopamine. Cette molécule déclenche un sentiment de plaisir et active les circuits de la mémoire.
Phase 2: l’élagage synaptique
Céline Alvarez explique que les connexions les moins utilisées, qui correspondant aux expériences les moins répétées, vont s’affaiblir et être éliminées. En revanche, les connexions les plus souvent utilisées, qui correspondent aux expériences les plus souvent répétées, vont se renforcer.
Ainsi, en grandissant, le cerveau se spécialise. Il perd les deux tiers de ses connexions et renforce le tiers le plus utilisé. C’est pour cela, par exemple, qu’un bébé peut entendre tous les sons à sa naissance puis, en grandissant, seulement ceux de sa langue.
Le sommeil fait partie intégrante de ce processus. En effet, après une nuit de sommeil, le nombre de connexions a été réduit. Le cerveau a fait le tri.
Créer, éliminer et renforcer les connexions entre les neurones: c’est ce qu’on appelle la plasticité cérébrale.
Voici une courte vidéo réalisée par Céline Alvarez:
Voici une très courte vidéo présentant les 5 âges du cerveau:
En tant qu’éducatrice, ces connaissances renforcent pour moi:
- l’importance de faire des choix conscients de ce que je souhaite transmettre et de les incarner
- l’importance de nourrir l’intelligence plastique de l’enfant en agissant sur l’environnement
- l’importance d’aider l’enfant à organiser et à s’approprier toutes les informations qu’il perçoit
Les périodes sensibles
Pendant sa maturation, le cerveau du jeune enfant traverse des « périodes sensibles ». Ce sont des moments où les connexions sont extrêmement nombreuses dans une aire cérébrale spécifique (celle du langage par exemple).
Lorsque l’enfant traverse une période sensible, c’est à ce moment-là précis que l’apprentissage est rapide, solide et facile. Une fois la période passée, les connexions neuronales diminuent et l’apprentissage deviendra beaucoup plus lent et difficile.
On reconnaît une période sensible par l’intérêt du jeune enfant, sa concentration, la rapidité et la facilité d’apprentissage, l’apaisement suite à une activité intense.
Les périodes sensibles langagières et sensorielles se manifestent essentiellement pendant la première année de vie de l’enfant. « (…) dès 10 mois, le nombre de connexions diminue fortement pour atteindre progressivement, à 3 ans, un niveau quasiment équivalent à celui de l’adulte ! » p.274
Céline Alvarez nous met en garde: cela n’implique pas de sur-stimuler le tout petit enfant. Il s’agit seulement d’accompagner son besoin d’explorer, de ne pas l’empêcher. « Nul besoin d’aller chercher des activités extraordinaires: dans les premières années de sa vie, l’ordinaire est extraordinaire. » p.292
De 3 à 5 ans, l’enfant traverse une période sensible du développement de son autonomie. Il veut faire tout seul. Il développe ce que Céline Alvarez appelle « les compétences exécutives »:
- avoir une intention, se fixer un objectif
- mémoriser une suite d’actions et les planifier
- se concentrer et contrôler ses gestes
- ajuster sa stratégie en fonction de ses erreurs et trouver une solution
Ce sont les « fondations biologiques de l’apprentissage ». Les apprentissages futurs de l’enfant reposent sur ces compétences.
« (…) les enfants qui, pendant leurs trois premières années de vie, ont pu agir par eux-mêmes avec la guidance respectueuse et non invasive de l’adulte, sont la plupart du temps, à 3 ans, « centrés », ils ont développé de bonnes compétences exécutives (…) »
En tant qu’éducatrice, ces connaissances renforcent pour moi:
L’importance des activités libres et du libre choix:
– L’enfant va choisir ce qui l’attire, ce dont il a besoin, en fonction de là où il en est.
– C’est lors des activités libres que l’enfant exerce ses compétences exécutives.
Je vous invite à lire à ce sujet : Pourquoi le temps libre est-il essentiel en maternelle ?
Vous y apprendrez comment l’enfant de maternelle apprend à se mettre en projet et à le mener à bien, ainsi que quelques pistes pour mettre en place ces temps d’activités libres en classe.
L’importance des relations humaines dans les apprentissages
« Tout notre fonctionnement biologique nous encourage à la bienveillance et à la reliance (…). »
Lorsque nous nous montrons altruistes et généreux, notre cerveau libère de la dopamine. Cette molécule provoque enthousiasme et plaisir qui nous donneront envie de recommencer.
Lorsque nous sommes en lien avec l’autre, de manière positive, le cerveau libère de l’ocytocine. Cette molécule provoque un sentiment d’attachement et de bien-être, et nous rend plus empathiques.
« La toxicité du stress »
Les cris, les humiliations, les coups physiques (dont la fessée !) et psychiques génèrent du stress chez l’enfant. En situation de stress, l’organisme libère des molécules de cortisol qui nous met en état d’alerte: accélération du rythme cardiaque, augmentation de la pression sanguine, perte d’efficacité du système immunitaire et de nos fonctions digestives.
Le stress répété et prolongé empêche le plein développement du cortex préfontal: il freine le développement de nouveaux neurones et peut empêcher les connexions neuronales.
Le cortex préfrontal est la partie du cerveau, située juste derrière le front, la plus développée chez les humains par rapport aux autres animaux. Il est le siège de la régulation des émotions et des fonctions exécutives et cognitives.
« Une étude finlandaise récente nommée « The First Steps Study » montre en effet que l’attitude chaleureuse et emphatique de l’adulte est plus déterminante pour la réussite scolaire que les outils pédagogiques utilisés et même qu’un nombre restreint d’enfants par classe. » p.364
En tant qu’éducatrice, ces connaissances renforcent pour moi:
– l’importance des relations bienveillantes et coopératives (grâce à la Communication Non Violente notamment)
– l’importance de l’accompagnement de l’enfant dans la gestion de ses émotions
Je pense, qu’en tant qu’enseignante, comprendre le fonctionnement cérébral est très utile pour penser ma pratique et la faire évoluer. Je pense également que faire comprendre ce fonctionnement aux enfants les aiderait à apprendre à apprendre. Je vous invite à écouter la présentation de Eric Gaspar à ce sujet.
Toutes les citations de cet article sont de Céline Alvarez, extraites de son livre.
Très bon article,
je voulais justement lire le livre de Céline !
En revanche le mode podcast enregistré était super, ça permet de prendre connaissance de ton article plus facilement pour ma part.
Je te recommande le dernier livre qui vient de sortir d’Idriss Aberkan qui parle du système éducatif. j’en suis au 2eme chapitre et c’est extrêmement interessant.
Je compte poursuivre les podcasts. Il m’a manqué un peu de temps cette semaine pour l’enregistrer ! Je suis comme toi, je trouve très pratique de pouvoir écouter des articles. Cela permet de pouvoir faire autre chose en même temps.
Parles-tu du livre Libérez son cerveau ?
Ce livre a l’air très intéressant, je l’ai ajouté à ma liste. Merci !
Pourrait-on aborder le fait que lors des temps libres, de nombreux enfants (MS GS) foncent systématiquement au coin « dînette ». Je sais qu’il en ont besoin mais si je veux les inciter à aller vers autre chose je suis obligée de le fermer à certains moments de la journée et je n’ai jamais entendu parler de ça dans tous les articles ou la méthode alternative semble marcher comme sur des roulettes.
Et pourquoi ne pas les laisser au coin dinette jusqu’à ce qu’ils soient prêts à passer à autre chose (même si ça prend des jours ou des semaines)? Cela doit correspondre à une période sensible justement, faisons confiance aux enfants…
A chaque article qui sort, j’ai envie de dire BRAVO!
Mon métier m’amène à rencontrer nombre de situations complexes en lien la famille, l’éducation des enfants, l’accompagnement de leur scolarité, les difficultés scolaires de tous ordres…
Cécile offre toujours en priorité un regard de bienveillance sur les sujets traités et propose des outils concrets accessibles.
Je ne puis qu’encourager les lecteurs à s’en emparer pour le plus grand bonheur de leurs enfants … et du leur, bien évidemment.
MERCI Cécile.